D’injustices en conflits, du rire aux larmes, de la rivalité à la solidarité, de l’amour à la haine, on a navigué dans la même galère. On ne s’est pas choisi. On partage des parents, des racines, une histoire, des liens…
À la mort de sa mère, il y a plus de 40 ans, Jean-Louis est parti de la maison pour ne jamais revenir. Second d’une famille de six enfants, il n’a jamais plus revu les siens, si ce n’est sa sœur et son petit frère à deux ou trois reprises. C’est ce dernier qui l’a averti que leur père venait de mourir. Un message sur un répondeur… Jean-Louis a hésité avant de se présenter au salon, la peur au ventre.
Il avait quitté des enfants, il a retrouvé des adultes qu’il ne reconnaissait pas. Alors qu’il avait enfoui sa famille au plus profond de lui-même pendant tant d’années, il a constaté, ému, à quel point elle lui avait manqué. «On a un besoin profond de fratrie, un besoin de sentir que l’on fait partie d’un clan, qu’il y a un endroit où l’on peut toujours revenir et où l’on sera accueilli, croit-il. Quand tu as une famille, tu n’es pas seul: il y a des gens qui ont le même sang que toi et un passé qui ressemble au tien. Mais cela va au-delà de l’histoire, c’est une question d’origine: on vient du même père et de la même mère. C’est le commencement de tout.»
Les problèmes qu’il avait avec son père l’ont coupé des siens. Sa mort lui a permis non seulement de les retrouver, mais de renouer des liens, ce qui le comble et le réjouit. Frères et soeur se voient maintenant régulièrement. «À 60 ans, je suis en train de faire la paix avec moi-même, avec qui je suis et d’où je viens. Je panse mes plaies», reconnaît-il, heureux.
La mort des parents
La mort des parents
Quand les parents meurent, bien des familles se serrent les coudes. Comme Jean-Louis, certains découvrent alors leurs frères et sœurs sous un autre jour. «Il arrive qu’une nouvelle dynamique s’installe en l’absence des parents, observe Denise Paré-Julien, présidente de la Fondation des familles en affaires et consultante auprès des familles en affaires et des fondations familiales. Parce que les parents alimentent souvent, indirectement ou directement, les rivalités entre les enfants. Parce que les enfants cherchent toujours la reconnaissance de leurs parents et rivalisent entre eux pour l’avoir.»
D’autres familles se dispersent, comme si elles ne tenaient que pour ou par les parents. D’aucunes voient leurs rencontres s’espacer tout doucement, que les frères et sœurs soient happés ailleurs, coincés par le temps, ou qu’ils partagent désormais les grands moments de la vie avec leur propre famille.
Enfin, question d’héritage, de vieilles rancunes, de chicanes dont on a oublié l’origine, d’autres ne s’adressent plus la parole. «Bien des familles se déchirent pour des histoires d’héritage», déplore Denise Paré-Julien, qui invite les parents à bien planifier le transfert de leur patrimoine. Et qui leur suggère même de réunir leurs enfants de leur vivant pour leur expliquer de vive voix comment ils souhaitent le partager pour éviter les erreurs d’interprétation des dernières volontés et les conflits…
Places et rôles dans la fratrie
Places et rôles
Chaque maisonnée a son odeur… et son humour. On rit des mêmes vieilles blagues qui ne font pas toujours sourire la visite. Et chaque enfant, même adulte, hérite d’un rôle – le responsable, le bouffon, le boute-en-train, l’organisateur, le cordon-bleu, le sage, l’organisateur, l’original, le mouton noir… – dont il peut avoir du mal à se défaire. Et un rang dans lequel il peut rester cantonné. Cadet un jour, cadet toujours? «Quand on revient dans sa famille, on reprend souvent le rôle et les attitudes que l’on avait enfant», note Denise Paré-Julien, encore étonnée de la réaction enflammée de plus de 150 agricultrices du Québec âgées de 17 à 73 ans lorsqu’elle a abordé avec elles la question des places dans la fratrie. Aînées ou cadettes en avaient gros sur le cœur…
«Les aînées disaient que les plus jeunes avaient eu la vie plus facile, qu’elles étaient plus gâtées. Les cadettes affirmaient que les aînées se donnaient du pouvoir et des autorisations sur elles. Le droit d’aînesse n’est pas si loin dans notre culture!, dit-elle en rappelant que les gens ont le pouvoir qu’on leur octroie. Il faut tenir compte du rôle que l’on nous a donné et que l’on s’est attribué et voir comment cela teinte nos relations.»
Car si les aînés semblent présomptueux et s’accordent des privilèges aux yeux de leurs cadets, c’est aussi parce que les parents leur ont demandé d’être responsables, de prendre soin des plus jeunes et de leur donner l’exemple! À 55 ans, Michèle se souvient encore qu’on la réprimandait si un plus jeune faisait une bêtise. «J’étais l’aînée. J’aurais dû lui donner l’exemple!»
Une histoire qui se transmet
Une histoire qui se transmet
«Arriver à choisir des gens qui nous sont d’abord imposés, c’est probablement ça l’esprit de famille», avance Jeanne, 53 ans, enfant du milieu d’une famille de 6. Bien sûr, des affinités nous lient davantage à certains, des alliances se nouent. Reste que nous avons passé une partie de notre vie et partagé notre intimité avec des gens que non seulement on n’a pas choisis, mais qui traînent chacun un héritage dont il n’est pas toujours conscient et qui interfère dans nos relations.
«Les enfants servent beaucoup à satisfaire les besoins restés en suspens des parents. Leurs relations sont teintées des besoins inconscients des parents, souligne Doris Langlois, travailleuse sociale, associée d’AGIRE international, conférencière, formatrice, superviseure, psychothérapeute et coauteure, avec sa soeur Lise, de La Psychogénéalogie. Transformer son héritage psychologique (Éditions de l’Homme, 2005). On dit qu’ils sont dépositaires de contrats inconscients des parents qui traduisent des marques de besoin.» Il peut s’agir de remplacer un enfant décédé, de poursuivre ou de résoudre un conflit – lorsqu’un enfant ressemble à un membre de la famille avec lequel le parent a connu des difficultés –, de permettre de faire le deuil d’un proche parti trop tôt et auquel un enfant fait songer, de prolonger le père ou la mère en menant, par exemple, la carrière à laquelle il aspirait…
Nos relations sont donc teintées par ce que nos parents ont vécu tant sur le plan personnel que relationnel dans leur propre famille qui était aussi imprégnée de ce que les parents avaient vécu… «C’est ainsi que l’on transporte dans le temps ce que l’on appelle le décalque de nos relations et qui en détermine la proximité ou l’éloignement, et la qualité», dit Doris Langlois. Un décalque sur lequel on peut agir comme l’ont fait Doris et sa sœur qui ont travaillé et réussi à briser le moule.
Face aux incompréhensions, aux vieilles rancœurs ou aux conflits qui s’éternisent, certains préfèrent rompre les ponts plutôt que de faire des efforts. «On a le droit de dire que c’est terminé», dit Doris Langlois. Mais ce droit n’est pas statique: on pourra revenir sur ses positions des mois ou des années plus tard. «Parfois, la distance est nécessaire, le recul salutaire, constate la travailleuse sociale. Cela permet un temps de réflexion et cela peut empêcher une destruction à outrance. En restant trop près, on peut s’enchevêtrer et accroître la perturbation.»
Que nous apporte la famille une fois adulte?
Que nous apporte la famille une fois adulte?
«Nos relations avec la fratrie nous servent beaucoup à être complets, résume Doris Langlois. Quand je ne m’entends pas avec quelqu’un, c’est que je lui vois une caractéristique que je n’ai pas. Comme s’il se donnait accès à quelque chose que je ne me permets pas pour une raison ou une autre.»
Au lieu de s’irriter de l’exubérance de notre sœur boute-en-train qui mène le party pendant que l’on reste silencieux, il vaut peut-être mieux apprendre à prendre un peu plus de place. «Si j’évolue un tant soit peu dans la relation fraternelle, cette portion d’évolution peut colorer positivement mes autres relations», assure madame Langlois.
Le petit changement que l’on fait dans une relation peut influencer nos autres relations. Si j’apprends à prendre un peu plus de place au party de Noël, je serai un peu mieux équipé devant un collègue qui monopolise l’attention. Le moindre petit pas accompli dans ses relations familiales se reproduit à double et triple échelle sur le plan social. «Chaque fois que j’apaise quelque chose dans mon groupe d’origine, je suis en train de régler quelque chose par rapport à mes relations de travail», soutient-elle. Ce que l’on règle dans la fratrie va souvent avoir un effet dans son comportement comme collègue. Ce qu’on résout avec ses parents peut avoir des incidences bénéfiques dans ses relations avec ses employeurs. Avec ses enfants, cela peut rejaillir sur ses relations avec ses cadets ou ses employés.
La famille est un véritable laboratoire relationnel, un laboratoire où l’on peut faire des essais et des erreurs. «Il y a un lien de sang qui est inaltérable, soutient Doris Langlois. Même si l’on se dispute avec sa sœur, elle reste notre sœur, et ça nous donne du temps. Lorsqu’on prend la peine de soigner ses liens familiaux et de soigner ses blessures de liens, on va mieux dans toutes les sphères de sa vie.»
Sans compter que tout ce que l’on règle, on le lègue à nos enfants. «On leur lègue ce que l’on fait de bien, poursuit la psychothérapeute. Moins on leur laisse de lourdeur, plus ils peuvent se rendre là où ils ont à se rendre. Faire la paix avec sa famille, c’est faire la paix avec soi. On tire quelque chose des liens du sang.»
«Il y a beaucoup de positif dans les relations frères et sœurs, conclut Denise Paré-Julien. Les familles qui s’entendent, qui mettent les choses au clair, en tirent une force indéniable. Entre frères et sœurs, on partage les mêmes valeurs et la même culture. On se comprend rapidement et en peu de mots. On peut prendre des décisions facilement. Et l’on accepte des choses de nos frères et sœurs que l’on n’accepterait de personne d’autre, justement parce que ce sont nos frères et sœurs.»
De la même façon, on peut critiquer les membres de sa famille, mais que pas un étranger ne se risque à le faire devant nous, car on ne l’excusera pas de sitôt!
Mise à jour: novembre 2008
Très intéressant alors que je suis en pleine crise familiale ( des relations qui avaient été jusqu’à présent heureuses ) suite à la mort de notre mère
Pas du tout en accord avec votre article !
Je suis la 4e de 7 enfants. Petite enfance agréable mais par la suite, très difficile. Papa décédé à 64 ans. Maman est demeurée la rassembleuse jusqu’à 89 ans malgré son déclin IMPORTANT à cause de dégénérescence cognitivive de 85 à 89. Depuis son décès,
Zéro tendresse, entraide, chaleur, écoute, dialogues sincères… ???