L’hiver passé, la chaîne Artv a diffusé une téléréalité intitulée Les règles de l’art. Prêts à tout, des artistes en art contemporain déployaient des trésors d’imagination afin de percer ce domaine «hyper compétitif». Une téléréalité sur l’art? Pas de doute, ce marché est in.
«L’art ne s’est jamais si bien vendu qu’en 2011 avec 11,5 milliards de dollars de produit de ventes annuel, soit 2 milliards de plus qu’en 2010, qui était jusqu’alors la meilleure performance de la décennie», rapportait récemment la maison Artprice, leader mondial de l’information sur le marché de l’art.
Pas besoin d’être millionnaire
Nul besoin d’être millionnaire pour investir dans l’art. Si votre budget est limité, «vous pouvez commencer par collectionner des gravures, par exemple, ou de plus petites oeuvres», dit Paul Maréchal, chargé de cours spécialisé en marché de l’art à l’Université du Québec à Montréal. Budget limité? Environ 1 000$, souvent moins. Mais, pour faire un choix éclairé, vous aurez du pain sur la planche. «Vous devez visiter les galeries et les musées, et vous renseigner sur les artistes qui vous intéressent. On ne devient pas collectionneur du jour au lendemain», souligne M. Maréchal.
Franck Henot a payé sa première toile 400$. «C’était une nature morte d’un artiste inconnu, mais qui me fascinait», dit cet entrepreneur du secteur de l’alimentation. Avec le temps, il a développé une passion pour l’art abstrait. «Ça dégage beaucoup d’émotion. Ça me parle. Ça subjugue, la création.» Il possède certaines oeuvres depuis des années. Pourtant, lorsqu’il les déplace et les éclaire différemment, il a le sentiment de «découvrir quelque chose de nouveau». Ses artistes de prédilection? Francine Simonin, Carlos Quintana et Louise Nevelson, entre autres. Il a aussi un faible pour Suzor-Côté, plus académique, dont il compte se procurer une toile incessamment.
Le marché de l’art. un secteur dynamique
Un grand nombre de personnes hésitent à investir dans l’art, car elles considèrent que c’est trop risqué. Pourtant, les vrais bons tableaux sont des actifs «dont la possibilité de dépréciation est très faible», avance M. Maréchal. Puis ils recèlent du potentiel. «Un tableau de 4 pi x 6 pi de Marc Séguin se vendait 2 000$ il y a 10 ans. Aujourd’hui, c’est 15 000$», dit Simon Blais, propriétaire de la galerie qui porte son nom. Pour sa part, Madeleine Forcier aborde cette question sous un autre angle. «Prenez l’artiste montréalaise Raphaëlle de Groot. Elle a remporté le prestigieux prix Sobey 2012 et représenté le Québec à la Biennale de Venise en mai dernier. Cela lui donne une grande visibilité. La demande pour ses oeuvres ne peut qu’augmenter. Si vous avez acheté un de Groot il y a deux ans, vous avez certainement réalisé un bon placement», explique la propriétaire de la galerie Graff.
Le marché de l’art contemporain est particulièrement dynamique, soutenu par des investisseurs qui en ont assez des pauvres rendements boursiers et obligataires, explique Artprice. «On note toutefois un ralentissement au Canada en art moderne», précise M. Blais.
Investir dans ses coups de foudre
Contrairement à la façon de procéder avec les produits financiers, l’investissement dans l’art doit commencer par un coup de foudre, «un signe qui ne trompe pas», dit Julie Lacroix, directrice générale de l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC). Première question fondamentale: l’oeuvre me plaît-elle? Si la réponse est oui, débute alors un travail d’investigation sur l’oeuvre et son créateur. Vous devrez vérifier notamment si la toile que vous convoitez fait partie de la «bonne période» de l’artiste. Par exemple, celle de Jean Paul Riopelle va de 1948 au début des années 1960, dit Louise Vigneault, professeure au département d’histoire de l’art de l’Université de Montréal. La période la plus marquante de Jean Paul Lemieux, durant laquelle il a créé le très connu 1910 Remembered, se situe entre le milieu des années 1950 et le début des années 1970. Pourtant, il a peint pendant plus de 50 ans.
La lecture des catalogues raisonnés est fortement recommandée, la tournée des galeries, un must. À l’instar de Raphaëlle de Groot, un artiste invité à une rencontre internationale et dont les tableaux font l’objet d’une rétrospective dans les musées devrait être prometteur.
Mais si l’oeuvre ne vous émeut pas, ne l’achetez pas, peu importe la réputation de l’artiste. «Vous vivrez avec quelque chose qui vous laisse froid. Au bout d’un certain temps, vous vous en lasserez et finirez pas vous en débarrasser», signale le collectionneur Franck Henot.
Investir dans l’art contemporain ou pas?
Pour nous faire une idée des tendances du marché, nous avons visité quelques musées et plusieurs galeries. Le «drame», c’est que des tableaux d’époques et de styles complètement différents nous sont tombés dans l’oeil. Comment choisir?
Mme Forcier et M. Blais suggèrent aux débutants d’opter pour des oeuvres contemporaines. Pourquoi? «Parce que c’est l’art qui se fait aujourd’hui. C’est un art de recherche. La plupart de temps, les artistes sont encore vivants. Vous êtes donc en mesure d’évaluer l’authenticité de leur travail. Également, vous pouvez vérifier si leurs oeuvres sont prisées par les collectionneurs et exposées dans des musées. Puis les prix sont souvent des plus abordables», dit Mme Forcier.
M. Maréchal tient à nuancer ce point de vue. «Personne ne peut établir avec certitude que l’artiste contemporain dont vous achetez une oeuvre occupera une place importante dans l’histoire de plutôt que des REER? Aura-t-il encore quelque chose à dire dans 10 ans? Le marché n’aime pas les oeuvres des artistes qui ont des carrières en dents de scie», avertit le spécialiste.
L’effervescence actuelle autour de l’art contemporain et le nombre croissant de collectionneurs favorisent l’emballement des prix, ajoute-t-il. Vous pourriez devoir payer jusqu’à 25 000$ pour une toile d’un jeune peintre en vue, alors que cette même somme vous permettrait d’obtenir un magnifique petit tableau de Marc-Aurèle Fortin. «Que préférez-vous? demande M. Maréchal. L’assurance d’avoir une oeuvre d’un peintre reconnu qui a encore la cote, ou le plaisir esthétique que procure un tableau d’un jeune artiste, sans savoir si, dans 10 ou 20 ans, vous pourrez retrouver la valeur de votre investissement?»
Pour s’initier à l’art contemporain
Art contemporain ou pas, ceux qui ont l’intention d’investir dans l’art bénéficient, au Québec, d’un réseau de galeries réputées, de musées et d’expositions qui font résolument la promotion d’artistes prometteurs. Il faut dire que le gouvernement du Québec encourage le développement culturel. Les institutions financières, de plus en plus nombreuses à décerner des prix, et les fondations privées sont aussi de la partie.
Ce mécénat permet de lancer des initiatives comme Papier 13, une foire d’art contemporain mettant le papier en valeur qui a signé sa sixième édition à Montréal en avril dernier. Organisé par l’AGAC, cet événement de trois jours permet au public d’aller voir le travail d’artistes que représentent une quarantaine de galeries. L’entrée est gratuite, les prix sont abordables.
«Notre mandat est d’aller chercher une clientèle qui ne connaît pas nécessairement l’art contemporain. L’an dernier, Papier 12 a attiré près de 10 000 personnes», indique Mme Lacroix.
Vous pouvez aussi admirer les oeuvres des jeunes professionnels du milieu des arts montréalais à l’événement ArtScène Montréal, vous inscrire au programme éducatif SéminArts du Musée d’art contemporain de Montréal, participer à la Manif d’art de Québec, biennale vouée aux arts actuels ou au Rallye des galeries. Le choix ne manque pas.
Les ventes aux enchères
Si vous recherchez des oeuvres plus classiques, vous pouvez tenter votre chance dans une vente aux enchères. Les grandes maisons comme Heffel et Iegor Hôtel des Encans en organisent à intervalles réguliers. Il est possible d’assister à la vente sur place, bien sûr, ou encore d’enchérir au téléphone ou par Internet. Cependant, il faut être connaisseur pour faire un achat avisé dans un encan. «Vous devez savoir ce que vous voulez et bien connaître la marchandise. Il y a de la pression. Les décisions se prennent rapidement. Ce n’est pas nécessairement un bon endroit pour commencer», prévient Mme Lacroix. Au prix du marteau s’ajoutent les frais d’encan, la TPS et la TVQ, soit 30% de plus environ. Une huile de 3 000$ vous reviendra donc à près de 4 000$.
M. Henot, lui aime bien faire affaire directement avec d’autres collectionneurs. C’est ainsi qu’il a pu se procurer son Louise Nevelson. «Les collectionneurs ont parfois besoin d’argent pour acquérir d’autres oeuvres. Ils peuvent aussi vendre leurs pièces afin de financer leur retraite. Pour certains, leur collection, c’est leur fonds de pension.»
Des oeuvres d’art plutôt que des REER? Voilà une façon originale de préparer ses vieux jours. Au fait, pourquoi pas? Rares sont ceux qui s’émerveillent devant un certificat de dépôt bancaire. Devant le tableau envoûtant d’un artiste prometteur, les probabilités d’être ébloui sont mille fois plus élevées.
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