Quand on a travaillé toute sa vie, il est normal de se sentir désorienté à la retraite. Du jour au lendemain, la routine que nous avions adoptée disparaît. On perd un cadre défini où s’inscrivait un certain nombre d’habitudes. La retraite nous oblige à nous reconstruire sur des bases différentes et à nous prendre en main. Amorcer ce passage exige une préparation sur différents plans. Si la sécurité financière apporte la quiétude, elle ne règle pas tout. Par exemple, on se demande comment on occupera notre temps et comment on pourra continuer de se sentir utile.
Qui suis-je?
Quand la cloche a sonné la fin des classes en juin dernier, Marie-France Bélair a fermé définitivement la porte de sa classe. Enseignante, elle entrait à la retraite, à 55 ans, laissant derrière elle 33 ans de vie entièrement dévouée à des enfants. Pour préparer ce passage, Marie-France a suivi des cours sur la retraite qui lui ont permis de faire le tour de plusieurs questions. Cependant, son questionnement ne s’est pas arrêté là. «Quand on travaille, on a un lieu d’appartenance, relate-t-elle. Le perdre me préoccupait, m’inquiétait.» Au cours d’une soirée où il y avait beaucoup de nouveaux visages, elle a constaté que, dorénavant, ce n’était plus l’enseignante qui occuperait le premier rang, mais bien la retraitée. Ce constat l’a secoué. «À l’avenir, je dois apprendre à être tout simplement… une femme.» L’important? Être à l’écoute de ce qu’elle aimerait faire. Comment? En explorant.
On profite d’abord de cette période pour accueillir toutes les émotions qui surgissent. Cette retraite, nous l’avons espérée et envisagée longtemps. L’euphorie des premiers mois cède la place aux vraies questions: au-delà de mon identité de travailleur, qui suis-je vraiment? Que vais-je faire de toutes ces années qui sont devant moi?
Du rêve à la réalité
Selon notre façon de concevoir la fin du travail, la transition sera plus ou moins aisée. Normand Belliveau savoure sa retraite depuis un an. Après avoir passé 34 ans comme chef de cabine pour Air Canada, il envisageait positivement cette étape. Celle-ci s’est annoncée plus vite que prévu lorsque la compagnie a offert aux plus anciens de la devancer. Alors que Normand Belliveau s’était toujours préoccupé du bien-être des passagers, il allait maintenant prendre soin de lui… La meilleure façon? Accomplir ce qui lui tenait à cœur dont la construction d’un chalet en Nouvelle-Écosse.
Mais Normand doit être patient car Suzanne, sa femme, agente de bord, travaille toujours. «Mon rythme est dorénavant différent du sien. Quand j’ai le goût de sortir, elle aspire à se reposer, ce qui est normal après plusieurs jours de vol. J’ai hâte qu’elle soit à la retraite pour qu’on puisse faire plus de choses ensemble. En attendant, je dois concrétiser quelques projets sans ma conjointe», conclut-il.
On ne peut amorcer cet important virage sans prendre de recul par rapport aux réalités inhérentes au milieu du travail: salaire, horaires, gratifications ou pressions. Finies aussi les conversations entre collègues. Durant des années, nos comportements, nos perceptions, nos pensées ont trouvé racine dans le travail. Nous avons même orienté nos loisirs en fonction des temps libres qu’il nous laissait. Et il est fort probable que notre façon de vivre la retraite sera aussi influencée par notre statut tant socio-professionnel qu’économique.
Francine Descarries, sociologue et professeure au département de sociologie de l’UQAM, souligne ainsi qu’une personne qui quitte un travail routinier aura sûrement le goût de penser à elle alors qu’une autre pourra trouver difficile de cesser son activité professionnelle si elle estime ce travail passionnant. Elle observe aussi que les femmes retraitées sont parfois moins désorientées que les hommes lorsqu’elles cessent de travailler à l’extérieur. «Contrairement aux hommes, les femmes font moins de ruptures entre le travail à l’extérieur et les tâches qu’elles effectuent à la maison. Elles habitent déjà cet espace alors que les hommes doivent se l’approprier une fois à la retraite. Ils se sentent parfois étrangers à la vie qui s’annonce», explique-t-elle.
Occuper son espace de vie
Déjà, lorsque ses enfants devenus adultes ont quitté la maison, Lise Ouellet s’était jointe à une chorale pour combler le vide créé par leur départ. Même si elle exerçait un métier satisfaisant, elle sentait le besoin d’ajouter un passe-temps à son horaire. Sa retraite, elle la voulait active.
Quelques années plus tard, des tendinites sévères l’obligent à prendre un congé de maladie prolongé. Au retour, elle est confrontée à un dilemme: prendre une retraite prématurée ou travailler jusqu’à sa pleine pension. Son choix est vite fait: elle n’est pas mûre pour la retraite. Hélas!, si la volonté de travailler est là, le corps ne suit pas… Difficile de se passer de ses bras quand on est infirmière à l’urgence!
Elle se résout finalement à accepter la réalité, mais non sans éprouver une profonde tristesse. «Quand j’ai quitté le CLSC, le dernier soir, j’ai compris qu’une partie importante de ma vie prenait fin. Je devais faire le deuil de ce métier qui m’avait permis de vivre mon rêve de jeunesse durant 35 ans. J’ai mis six mois avant de pouvoir fêter cette importante étape. Puis j’ai réalisé qu’elle faisait partie d’un cycle: quelque chose meurt, quelque chose naît. Dans mon cas, ce fut d’autant plus vrai qu’un mois plus tard, notre fille nous annonçait qu’elle était enceinte. Une nouvelle qui tombait à point!»
À la retraite, en vivant au jour le jour, on prend nécessairement davantage contact avec son intériorité. «J’ai toujours vécu le moment présent, mentionne Claire Lefebvre, qui travaillait en comptabilité. Quand nous avons quitté le quartier où nous habitions depuis longtemps pour nous installer à la campagne, je me suis dit que j’allais apprendre à être bien dans le silence, à aller à l’intérieur de moi-même. Je rêvais aussi de longues randonnées en forêt avec mon mari…» Retraité de la Société de transport de Montréal depuis 5 ans, Jean-Claude partageait cet objectif. Le seul hic, c’est qu’il s’est retrouvé aussi occupé que lorsqu’il travaillait ! Généreux, il aime rendre service à ses proches. Aujourd’hui, il commence à réaliser que sa journée se remplit à la vitesse de l’éclair, et ce, parfois au détriment des rêves qu’il avait caressés pour sa retraite. «Il faut que j’apprenne à dire non… Ce n’est pas facile. Si j’accepte d’aider quelqu’un, je ne peux pas le laisser en plan. Dès que j’aurai honoré les engagements présents, je vais essayer de penser plus à moi… et à Claire», se promet-il. Savoir dire non est essentiel à l’équilibre.
Recadrer sa vie
Nicole Roussel a eu des agendas bien remplis pendant toute sa vie professionnelle comme cadre en milieu hospitalier. À sa retraite, elle a traversé une dure période d’acclimatation. Une fois la période d’euphorie passée, elle s’est sentie désorientée, insatisfaite. «J’ai mis un an à m’adapter. Il n’est pas facile de briser la routine de travail qui a occupé 35 ans de sa vie, 5 jours par semaine! Pas facile non plus de quitter un emploi qui nous a apporté beaucoup de satisfaction…»
Longtemps, elle avait vu sa retraite comme une page blanche à remplir d’activités énergisantes. Or, voilà que, déçue d’elle-même, elle avait l’impression de gaspiller sa précieuse liberté… Pour mettre un frein à cette émotion, Nicole s’est mise à l’écriture. En couchant sa vie sur papier, elle a pu mesurer le chemin accompli et constater qu’elle avait de belles années devant elle.
Là où certains éprouvent de l’angoisse à l’idée de ne plus avoir de cadre, d’autres ressentent plutôt un soulagement. La retraite, c’est l’occasion de mesurer la place que prenait cet encadrement dans notre vie. À nous de créer notre propre routine, dorénavant! C’est un travail à plein temps…
L’angoisse de vieillir
Guy Bisaillon a été premier vice-président de la Banque Scotia durant 13 ans après avoir occupé durant 33 ans différentes fonctions à la Banque Royale. Tout en ayant des semaines chargées, il a fait du bénévolat et a même complété une maîtrise en administration à 40 ans. Il y a quatre ans, il a décidé de prendre sa retraite, même s’il recevait des propositions alléchantes.
Après avoir amplement profité de ses premiers mois à la retraite, Guy Bisaillon s’est toutefois surpris à éprouver, de temps à autre, le goût de reprendre le collier. En réfléchissant à sa situation, il a plutôt réalisé que ce qu’il désirait avant tout, c’était de retrouver le sentiment d’utilité que lui avaient conféré ses emplois. Comment ? Il n’a pas trouvé de réponse.
En fait, il cherche moins à en trouver une qu’à comprendre l’état d’âme dans lequel il est plongé. Car il s’est aussi aperçu que la fin du travail rimait chez lui avec vieillesse. Pour atteindre une certaine sérénité, il s’efforce d’adopter un comportement préventif en prenant soin de sa santé tant physique que mentale. «J’aspire à devenir philosophe et à voir la vieillesse sereinement», soutient-il. Ainsi, il goûte le plaisir de lire son journal, et si cette activité s’étire toute une matinée, elle n’en est que meilleure. Actif depuis toujours, il aime changer d’environnement, voyager avec Monique, sa femme, partager son amour du ski avec ses petits-enfants, siéger bénévolement sur des conseils d’administration… Tisser ou renforcer des liens d’affection avec sa famille et ses amis: un gage de satisfaction assuré!
Les règles d’or d’une retraite réussie
Des projets pour soi et les autres
Si l’on vit à deux, la retraite est aussi l’occasion d’effectuer un retour sur son couple. Ce retour nous permet de redéfinir un projet de vie, projet qu’il est important d’enraciner sur le plan social. On s’épanouit en élaborant des projets qui correspondent à notre nouvelle réalité.
Qu’ils nous permettent de jouer un rôle auprès de nos petits-enfants, de faire du mentorat ou de nous engager dans notre communauté, l’important, c’est que ces projets mettent à profit notre expérience et notre sagesse. Ainsi, plutôt que de vivre une perte d’identité, on enrichit son quotidien. Et nous avons beaucoup à partager: c’est tout un bagage d’expériences que l’on emporte avec soi à la retraite. En quittant l’emploi que l’on exerçait, cette richesse ne se perd pas. Nous n’aurons pas assez d’une vie pour actualiser tout notre potentiel et profiter de toutes les occasions qui s’offrent à nous. Alors, pas une minute à perdre!
Les règles d’or d’une retraite réussie
- Pensez à vous. Cela relève de la nécessité et non de l’égoïsme!
- Prenez le temps de vous acclimater à votre nouvelle réalité. Le métier de retraité ne s’apprend pas, il se vit au jour le jour.
- Évaluez chaque proposition qui vous est faite. Avant de l’accepter, soupesez-la longuement. Visualisez-vous en train de vivre cette expérience. Vous sentez-vous en harmonie? Sinon, passez vite au point suivant!
- Dites non à ce qui ne vous convient pas… sans culpabilité. Exprimer ses limites est un savoir-faire qui s’acquiert.
- Développez vos champs d’intérêt et vos passions. Tout est permis, place à la créativité!
- Créez votre propre routine. Vous voilà votre propre patron; offrez-vous enfin l’horaire de vos rêves…
- Trouvez de nouvelles sources de sens. Intensifiez les liens familiaux, faites du bénévolat, suivez des cours ou mettez sur pied des projets, sages ou fous.
- Savourez chaque instant. Le temps vaut de l’or. À vous de déterminer comment vous désirez dépenser ce précieux pécule.
- Cultivez votre intériorité. Une vie intérieure pleine enrichit le quotidien.
- Dessinez vos priorités. On ne peut pas tout faire! Mieux vaut faire des choix et bien faire ce que l’on fait plutôt que de s’éparpiller.
Des lectures
Le Bien-Vieillir. La Révolution de l’âge, par Maurice Tubiana, Éditions de Fallois, 327 p. L’auteur, médecin, fait le tour de la question et propose aux retraités «de participer pleinement à la vie de la cité».
Réussir sa retraite. Découvrir un nouveau sens à sa vie, par Isabelle Delisle, Éditions Médiaspaul, 1998, 204 p. Un parcours visant à transformer l’âge de la retraite en une saison de créativité, de bonheur épanoui et partagé.
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