L’idée de traiter la dépression avec des produits dits naturels n’est pas nouvelle. Mais le Détecteur de rumeurs a constaté qu’après toutes ces années, on ne sait toujours pas grand-chose sur l’efficacité et la sécurité des produits recommandés.
Une solution de rechange très populaire
Pour combattre la dépression, plusieurs recommandations reviennent couramment: se changer les idées, mieux dormir, éviter l’alcool, réduire le café, etc. Mais plusieurs recommandent aussi des traitements dits naturels, dont la popularité s’explique en partie par le fait que ces produits sont facilement accessibles, soulignait en 2021 le Centre national pour la médecine complémentaire et intégrative (NCCIH), une agence du gouvernement américain. En fait, dès 2017, une étude réalisée aux États-Unis concluait que près de 40 % des adultes souffrant de «détresse mentale modérée» avaient eu recours à des médecines alternatives et complémentaires dans les 12 derniers mois.
Plusieurs sites (ici et ici) de même que des boutiques font ainsi la promotion «d’antidépresseurs naturels». Par exemple, le médecin allergologue Pierrick Hordé affirme dans le magazine français en ligne Le Journal des femmes que «des alternatives naturelles particulièrement efficaces, sans effets secondaires, existent dans la prise en charge d’une déprime passagère, voire d’une dépression moyenne à modérée».
La croyance est également alimentée par la tentation, chez certaines personnes souffrant de symptômes dépressifs, de se traiter elles-mêmes plutôt que de consulter un professionnel.
Mais peu de recherches
L’utilisation des «antidépresseurs naturels» est toutefois loin de faire consensus dans la communauté scientifique.
C’est que la plupart des produits de santé naturels n’ont pas été étudiés rigoureusement, soulignait en 2021 le NCCIH. Ceux qui l’ont été sont le millepertuis, les suppléments d’oméga-3, la S-adénosylméthionine (SAMe) et le safran. Il existe également quelques données sur le L-méthylfolate.
Le millepertuis: C’est l’un des produits de santé naturels les mieux documentés pour le traitement de la dépression, soulignaient en 2021 des chercheurs américains qui se sont intéressés aux traitements intégratifs pour soigner la dépression majeure. Il agirait directement sur les récepteurs de la sérotonine, ajoutaient en 2016 des chercheurs canadiens dans un article sur les directives cliniques pour le traitement de la dépression. Une méta-analyse réalisée aux États-Unis la même année a conclu que le millepertuis était supérieur au placebo pour soigner la dépression légère ou modérée et qu’il était aussi efficace que les antidépresseurs conventionnels. Selon les auteurs américains, on peut donc le considérer comme un remède de première ligne.
Les oméga-3: Il s’agit d’acides gras polyinsaturés que le corps ne synthétise pas lui-même. Comme l’expliquaient en 2020 les auteurs d’une méta-analyse, ils influenceraient l’activité des neurotransmetteurs et le processus inflammatoire. Certaines études ont montré que les personnes avec une dépression majeure avaient des niveaux plus faibles d’oméga-3. Une autre méta-analyse réalisée en 2021 a toutefois conclu qu’il n’existait pas assez de données de qualité pour déterminer l’efficacité des suppléments d’oméga-3.
La S-adénosylméthionine (SAMe): Il s’agit d’un dérivé de la méthionine naturellement présent dans le cerveau, expliquaient en 2016 les chercheurs canadiens. Cette substance jouerait un rôle dans certains mécanismes biochimiques associés à la dépression, ajoutaient les auteurs d’une revue systématique publiée en 2020. Des données soutiennent son utilisation comme traitement complémentaire, mais la situation est moins claire pour son emploi seul, notaient les scientifiques américains en 2021.
Le safran: L’effet antidépresseur du safran se ferait par la régulation de la sérotonine, de la dopamine et de la norépinéphrine, expliquaient en 2021 les chercheurs américains. Une méta-analyse réalisée en 2020 a montré que le safran était plus efficace qu’un placebo et aussi efficace que les antidépresseurs traditionnels. Selon les auteurs, il s’agirait d’un traitement alternatif à envisager pour la dépression légère ou modérée.
Le L-méthylfolate: Cette forme active du folate est impliquée dans la production de sérotonine, de norépinéphrine et de dopamine. Parce que les niveaux de folate sont bas chez certaines personnes souffrant de problèmes de santé mentale, le L-méthylfolate pourrait être considéré comme un traitement complémentaire aux antidépresseurs. La FDA l’a approuvé pour le traitement de la dépression, note l’Alliance nationale pour la santé mentale sur son site. Les études sont toutefois petites et hétérogènes, remarquaient les auteurs d’une méta-analyse publiée en 2015.
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Au Canada, l’article 3 de la Loi sur les aliments et drogues interdit d’afficher, sur l’étiquette des produits de santé naturels ou des médicaments en vente libre, qu’ils peuvent traiter la dépression. Aux États-Unis, aucun de ces produits n’est approuvé pour lutter contre les symptômes dépressifs par l’Agence américaine des aliments et médicaments (FDA).
Des risques
Il faut rappeler que «naturel» n’est pas synonyme de sécuritaire. Plusieurs produits de santé naturels comportent un risque lorsqu’ils interagissent avec des médicaments, rappelait en 2024 le NIMH. Par exemple, la combinaison du millepertuis avec les antidépresseurs peut causer des effets secondaires dangereux et même provoquer des psychoses, selon le NIMH. La S-adénosylméthionine peut déclencher pour sa part des épisodes de manie chez les gens bipolaires, ajoutaient les auteurs de la méta-analyse réalisée en 2020.
Enfin, dans un texte sur le millepertuis, le NCCIH insiste sur le fait que la dépression est une maladie sérieuse. Une personne qui se sent déprimée devrait consulter un professionnel et ne pas essayer de se traiter elle-même.
Verdict
Certains produits naturels pourraient avoir un effet sur les symptômes dépressifs. Toutefois, la recherche est insuffisante pour les recommander comme traitement, sauf rares exceptions. De plus, ces produits peuvent causer de graves effets secondaires, spécialement dans leurs interactions avec les médicaments.
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