L’art de s’émerveiller avec la comédienne Sophie Faucher

L’art de s’émerveiller avec la comédienne Sophie Faucher

Par Caroline Fortin

Crédit photo: Marjorie Guindon

La vie ne lui donne pas les rôles qu’elle convoite? Elle s’en crée! Entretien avec une actrice qui fonce et savoure chaque instant de son existence.

Vous incarnerez cet automne une artiste marquante dans Une voix pour être aimée: Maria Callas. Comment est venue cette rencontre?
J’ai d’abord joué Les leçons de Maria Callas au Festival d’opéra de Québec en 2021. Puis il y a eu la série Je chante ma vie, sur Ohdio, douze épisodes consacrés à la cantatrice pour lesquels j’ai effectué toute la recherche. C’est là qu’est véritablement née l’idée. Marc Hervieux avait assisté au spectacle à Québec, il avait envie de travailler avec moi, alors je suis allée voir le producteur Martin Leclerc, et je lui ai dit: «J’ai une idée de pièce, un huis clos qui se déroulerait à la fin de la vie de Maria Callas.» Il a tout de suite embarqué! J’ai écrit le texte avec ma grande amie Anne Bryan, que j’ai connue au Conservatoire.

Après votre spectacle hommage à la peintre Frida Kahlo, vous vous êtes éprise d’une autre artiste au destin tragique!
Quelle triste fin de vie Maria Callas a eue! Seule avec Bruna, sa dame de compagnie, et ses deux petits chiens. À ne plus pouvoir soutenir les notes comme avant, ce qui était crève-cœur pour elle. Comme elle le disait: «D’abord, j’ai perdu du poids, ensuite j’ai perdu ma voix, puis j’ai perdu Onassis.» Contrairement à Frida, que ses parents ont aimée, Maria n’a jamais eu de signe d’affection de sa mère, qui n’en avait que pour sa sœur aînée. Alors, même après la carrière qu’elle a eue, après tous ses succès, après avoir fait le tour du globe avec le monde à ses pieds, quand elle se retrouve seule dans son appartement, c’est comme une petite fille qui n’a pas confiance en elle. C’est un très beau rôle à défendre. Et cette année, c’est son 100e anniversaire de naissance. On lui rend donc hommage.

Vous vivez avec Frida depuis quelque 25 ans. Qu’a-t-elle amené dans votre vie?
Des rencontres et de nouvelles portes ouvertes. Je ne connaissais rien des mariachis avant de m’intéresser à ce type de musique pour Frida Kahlo correspondance. J’ai également découvert Cara Carmina, qui fait les illustrations de mes albums jeunesse. Jamais je n’aurais cru écrire un livre pour enfants sur Frida. Et je suis rendue à cinq! C’est un ami qui m’a dit: «Depuis le temps que tu racontes Frida aux grands, pourquoi tu ne la racontes pas aux petits?»

Je trouvais qu’elle avait eu une vie trop rock n’roll pour ça. Il m’a répondu que j’allais trouver les mots. Et je l’ai cru. C’était une idée pas bête, parce que c’est bien d’avoir des modèles quand on est jeune, et puis elle est divertissante, Frida. Et voilà que mes deux premiers albums se retrouvent en dessins animés. J’ai coécrit six capsules de cinq minutes avec Sarah Lalonde, qui seront diffusées sur video.telequebec.tv à compter du 6 octobre. C’est extraordinaire!

Comment les enfants accueillent-ils vos albums?
Très, très bien. Je me rappellerai tou- jours, une des premières années suivant la parution de Frida, le jour de l’Halloween, une petite fille d’environ quatre ans est devant ma porte, habillée en Frida. Je lui demande comment elle s’appelle, elle me répond: «Moi, c’est Frida.» Elle avait reçu mon livre. Je suis devenue tellement émue. Elle a eu pas mal de bonbons, cette petite fille-là! Les enfants lui sont fidèles, et Frida a ses propres aventures, maintenant. Je reviens d’une tournée pour aller présenter Frida en Gaspésie, et les enfants étaient si fiers de voir leur région représentée dans un livre!

La comédienne Françoise Faucher, votre mère, avait horreur des étiquettes. Elle disait qu’on la sollicitait souvent pour incarner la classe, par exemple. Considérez-vous qu’on vous en a également collé une?
Non. J’ai été dans Ding et Dong, le film, en passant par Le cœur a ses raisons et Frida Kahlo. Mais il est vrai que j’ai beaucoup créé mon travail, parce que le téléphone ne sonnait pas assez. J’ai eu la chance d’être dans la même promotion au Conservatoire que Robert Lepage. On a donc fait nos stages ensemble à Paris, tout jeunes gens. Il a mis en scène mon premier spectacle sur Frida, Apasionada ou la Casa Azul, en 2001. Très vite, j’ai compris qu’il ne fallait pas que j’attende que le téléphone sonne. Ça n’a pas toujours été facile à vivre parce que chaque fois qu’une saison de théâtre débutait, ça me faisait des coups de couteau dans le cœur de ne pas en être. Il me semble que je suis faite pour le théâtre et on me limite, on s’arrête à mon accent français. Je rêverais de jouer dans des pièces de Michel Tremblay! J’ai quand même doublé Délima dans Les Pierrafeu à Viva Rock Vegas! Je sais aussi que je suis grande, je déplace de l’air, j’ai une certaine allure et tout ça, mais il me semble que j’aurais pu jouer dans des séries des avocates, des médecins, ou une gardienne de prison désagréable et intimidante dans Unité 9! Mais vous savez, je continue à croire que ma carrière n’est pas commencée.

C’est fou, votre mère aussi aurait voulu jouer du Tremblay!
Au cégep, on m’appelait la Française. Quand j’ai été essayé de faire carrière en France, on m’appelait la Canadienne. Je me disais: je suis bâtarde, ou quoi! Mais bon, j’ai eu la chance de travailler avec beaucoup de monde. Reste qu’on manque peut-être de curiosité à mon égard. Très souvent, on ne m’appelle pas pour des castings. Cet automne, je ne me plains pas, je joue Maria Callas et il y a le film de Denys Arcand, Testament, dans lequel je fais une apparition.

Vous êtes plus sereine face à tout ça?
C’est drôle, car tout à l’heure, je parlais avec ma grande amie Lynda, puis j’ai dit: «Faudra que je raccroche parce qu’on m’interviewe pour le Bel âge. » Et je lui ai demandé : « D’ailleurs, peux-tu me dire c’est quoi, le bel âge ? – Ben Sophie, c’est quand même quand tu es rendue que tu te fous de l’opinion des autres et que t’es beaucoup plus libre. » J’ai dit à Lynda : «C’est pour ça que je suis pas rendue dans le bel âge, parce que moi, je m’en fais encore avec tout!» La sagesse dont je serais censée faire preuve, oui, elle s’est installée un peu, je m’en fais beaucoup moins qu’avant. Je ne me suis pas calmé le pompon comme je trouve que je devrais. Ce serait plus reposant!

Vous avez encore votre mère. Qu’est- ce qu’elle vous a transmis?
Une certaine énergie. Elle est incroyable. Elle va avoir 94 ans le 4 septembre, et elle est toujours dans sa maison. En mai, j’ai été invitée à siéger au jury des documentaires au Festival de Cannes. Une expérience extraordinaire. J’ai rencontré les Wim Wenders, Pedro Almodovar, Ken Loach, Costa-Gavras, à qui j’ai pu dire mon admiration, etc.

Pourquoi je raconte ça? C’est que ma mère, que j’appelais de Cannes, vivait mon festival par procuration. Elle me disait : « Sophie, tu n’es pas loin du marché, t’es-tu acheté du melon? Le melon charentais, c’est le meilleur!» Ma mère cultive l’art de l’émerveillement.

Qu’est-ce que vous pensez avoir transmis à votre fille?
J’ai appris à Clémentine que personne ne lui devait rien. Je n’en ai pas fait une enfant roi. La politesse, l’attention aux autres, on lui a inculqué ça. Et puis, c’est ma plus grande création. Elle est extraordinaire, bien dans sa peau, généreuse, travaillante. Elle fait preuve de courage aussi. Je l’admire beaucoup.

La dernière phrase du journal de Frida est: «J’espère que la sortie sera joyeuse et j’espère ne jamais revenir.» La vôtre serait…?
«J’ai bien profité de la vie.» Je vis vraiment chaque journée comme si ça pouvait être la dernière. J’ai une conscience aiguë que notre passage sur Terre n’est pas long, qu’il faut en profiter, que la vie est une aventure. On doit sauter dedans à pieds joints!

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