Il y a une différence entre collectionner des objets et les accumuler compulsivement. Un chez-soi fortement encombré traduit un trouble de santé mentale et peut être une source d’inquiétude pour la sécurité des gens. Explorons ce malaise profond.
Du plus loin qu’Antonin se souvienne, sa mère a toujours amoncelé des journaux. «Quand j’avais quatre ou cinq ans, je pouvais encore jouer dans le salon. Il y avait de la place, car elle se limitait à les empiler dans notre locker. Au fil du temps, ça a empiré, et ça s’est diversifié: revues, sacs et bouteilles de plastique, bouchons et tubes de dentifrice vides, bandes de plastique qui scellent les bouteilles de liqueur, languettes de cannettes, couvercles de boîtes de conserve, dépliants de toutes les lignes de bus à Montréal, rouleaux de papier de toilette… Les pièces étaient pleines. Il ne restait que des chemins de chèvre pour circuler. Elle avait même des boîtes sur son lit. Donc, elle dormait en diagonale. Pendant longtemps, elle pouvait tout retrouver dans l’appartement, tout était classé. Aujourd’hui, à 77 ans, elle doit enjamber des trucs pour se déplacer.»
Tout comme de 3 à 5 % de la population, la maman d’Antonin est atteinte d’un trouble d’accumulation compulsive (TAC), aussi appelé syllogomanie. Il s’agit non pas d’un choix conscient, mais d’un problème de santé mentale consigné depuis 2013 dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ouvrage de référence en psychiatrie.
Qui a un TAC?
On peut avoir beaucoup de choses chez soi sans être atteint d’un TAC. «On parle de TAC quand l’encombrement est assez sévère pour altérer le fonctionnement quotidien, empêcher de faire des tâches comme cuisiner ou prendre son bain, quand la personne a une difficulté persistante à se départir de ses objets, peu importe leur valeur, parce qu’elle éprouve le besoin de les conserver. L’idée de s’en défaire lui fait vivre une détresse. C’est un comportement actif, et non passif; la personne continue d’acquérir des objets et de les empiler, et ce, volontairement», explique Natalia Koszegi, psychologue et coordonnatrice au Laboratoire de recherche sur les troubles obsessionnels-compulsifs.
D’où ça vient?
Le TAC trouve couramment son origine dans l’enfance. «On remarque que les accumulateurs ont vécu de la violence, de l’abus, une forme de négligence, le plus souvent affective. Quand on les fait parler de leur relation aux objets, on découvre que ceux-ci ont rempli un rôle dans leur développement. Une de mes patientes a grandi dans un milieu très difficile, avec une mère alcoolique et colérique. Pour survivre, elle se réfugiait dans la lecture. Donc, quand elle vivait une détresse psychologique, elle se tournait non pas vers des gens, mais des objets. En grandissant, elle s’est mise à accumuler des objets qu’elle trouvait esthétiques, qui lui faisaient du bien. Ça pouvait être une boîte de chaussures vide avec une belle photo dessus. Mais chaque personne que j’ai rencontrée a sa propre histoire à cet égard», poursuit la docteure Koszegi.
De son côté, Antonin lie le TAC de sa mère à une carence intellectuelle née du fait que ses parents ont tout misé sur les études de leur unique garçon, les siennes étant reléguées au second plan. «Je crois que sa souffrance s’est transformée en un grand appétit d’être informée, au courant de tout, de lire tout ce qui lui tombe sous la main, elle qui a toujours été curieuse. Autour de mes 10 ans, elle a tenté d’étudier à l’université, et ça a été un déclencheur: elle faisait des photocopies de tous ses livres et notes de cours.»
Le lien familial peut aussi jouer un rôle, puisque de 50 à 75 % des gens ayant un parent du premier degré qui est accumulateur contracteront ce trouble. Les personnes aux prises avec un TAC habitent souvent seules, par choix ou parce que leur situation a mené à une séparation. Et on observe chez elles un trouble dépressif ou anxieux dans 50 à 75 % des cas.
Pourquoi accumulent-ils autant d’objets?
Pour des raisons utilitaires: le fameux «on ne sait jamais, je pourrais en avoir besoin». Par attachement sentimental. Parce que l’objet est attrayant. Pour se souvenir. Pour ne pas contribuer à polluer la planète. Par sentiment de responsabilité envers l’objet, qui ne doit pas aboutir entre des mains négligentes.
Et si le collectionneur est fier de montrer ses possessions, l’accumulateur compulsif, lui, a en général honte et refuse pour cela d’avoir de la visite. Beaucoup ont conscience de leur problème et ressentent de la culpabilité, tandis que d’autres vivent dans le déni et croient faire la bonne chose.
Mais ils ont en commun de n’aller chercher de l’aide – ou d’en accepter – que lorsqu’il y a urgence: avis d’éviction, travaux majeurs à faire dans le logement, visite d’un inspecteur de la ville ou de la DPJ, jugement du Tribunal administratif du logement.
Comment ça se traite?
La psychoéducatrice Véronique Vallée intervient auprès d’accumulateurs compulsifs depuis 12 ans. Son travail se fait sur le terrain, dans le logement même, et va de la construction d’un lien de confiance à la mise en place d’un plan d’action en passant par la médiation avec les autorités, le coaching des proches, l’établissement de stratégies pour prévenir la rechute, l’initiation au «non-shopping» et même le transport de boîtes jusqu’à la friperie du coin.
«Ces personnes trouvent un réconfort, un apaisement dans leurs objets, que certaines considéreront même comme leurs meilleurs amis et qui deviennent souvent un rempart contre le monde extérieur. Elles vont combler un besoin affectif avec ça. Et nous, on leur demande de modifier leur rapport aux objets, de désencombrer: c’est énorme pour elles, ça exige beaucoup de courage et ça génère de la souffrance. Il faut donc d’une part faire preuve d’empathie et de l’autre ne pas avoir d’attentes démesurées, comme penser que leur maison deviendra digne d’un magazine déco.»
L’idéal, avance Natalia Koszegi, est de monter une équipe multidisciplinaire autour des accumulateurs. «Ils ont besoin de psychothérapie pour comprendre, d’un psychoéducateur ou éducateur spécialisé pour les aider à passer à l’action et prendre des décisions dans leur tri, d’un travailleur social pour aider dans les conflits avec les proches, les voisins, le propriétaire ou les autorités de la ville. De la médication peut être suggérée par un médecin pour traiter le trouble dépressif ou anxieux.»
L’essentiel demeure que la personne soit consentante. La pire erreur serait de faire du ménage en son absence ou de vider son logement. «On créerait alors un grand traumatisme, avertit Véronique Vallée. Et ça ne l’empêchera pas de recommencer. Elle risque aussi de s’isoler encore plus et de ne plus oser demander de l’aide.»
Pour les proches, le mieux à faire consiste d’abord à s’informer sur le TAC, ce qui permettra d’abattre certains préjugés. «De reconnaître que c’est souffrant peut contribuer à adopter une approche plus patiente, encourageante», illustre Natalia Koszegi. Et de cesser de se prendre comme point de comparaison. «Un proche peut être capable de faire le ménage d’un tiroir en 15 minutes. L’accumulateur, ça peut lui prendre une journée, parce qu’il a dû travailler fort mentalement pour se convaincre de se débarrasser de tel ou tel objet», poursuit-elle.
Comme Véronique Vallée le fait dans son travail, il est en outre bon de souligner chaque petit pas. Quand on commence l’accompagnement, ils sont souvent découragés parce qu’ils ne savent pas par où commencer. On décide ensemble de débuter par une pièce, ou une catégorie d’objets. Comme intervenant, on reconnaît et nomme la souffrance qu’ils vont vivre, mais on leur fait aussi comprendre qu’il y aura des résultats motivants: ils pourront par exemple recommencer à recevoir. C’est plus long au début, mais à mesure qu’ils voient qu’ils sont capables de se défaire de certaines choses, ça avance plus vite. Et c’est important de célébrer chaque petit succès.»
Au bout du compte, l’objectif visé est souvent la fonctionnalité: que le logement soit sécuritaire, les calorifères, dégagés, qu’un ambulancier, par exemple, puisse entrer et circuler avec sa civière, qu’il soit possible de prendre un bain, bien dormir dans son lit, se faire à manger. «Il faut savoir qu’on peut apprendre à vivre avec son TAC, à voir qu’on a des compétences et des outils pour le gérer et maintenir ses acquis. On ne guérit pas d’être soi. On apprend à s’aimer et à vivre avec soi-même, et ça, c’est le travail d’une vie, peu importe la problématique», conclut Véronique Vallée.
Où chercher de l’aide
• Le CLSC, le point d’entrée pour se faire aiguiller vers des ressources.
• Le 211, un service d’aide et d’orientation par téléphone.
• Le site EspaceTAC.ca, une mine d’informations et de ressources sur le sujet.
• Le livre Entre monts et merveilles – Comment reconnaître et surmonter l’accumulation compulsive, de Marie-Ève St-Pierre-Delorme, Natalia Koszegi et Kieron O’Connor (Éditions MultiMondes).
• Couvrant le Grand Montréal, le Projet Sentinelle de l’organisme Diogène (514 874-1214) vient en aide aux gens à risque imminent de perdre leur logement. «On met en place un plan de désencombrement avec la personne, on l’accompagne pour l’aider à le faire, on peut négocier des ententes avec les inspecteurs de la ville, les propriétaires, préparer un logement pour l’extermination, aider à transporter des choses. Et on dirige les accumulateurs et leurs proches vers des ressources», indique François Ouellet, chef d’équipe.
• La page Facebook Accumulation compulsive Verdun, Québec, Canada, qui annonce notamment les dates de groupes de parole et de soutien se tenant à Montréal.
• Le Centre de soir Denise-Massé, qui offre un accompagnement individuel, 514 525-8059.
On appelle aussi ce trouble le « Syndrome de Diogène ».
Super intéressant! Et tellement présent dans notre société de consommation
Bravo!
Je voudrais me débarrasser des objets dont j’ai accumulés depuis plusieurs années et j’aimerais avoir un appartement plus en ordre pour mieux vivre. Je suis une personne âgée de 77 ans et plus de famille qui peut m’aider. Je demeure sur la Rive Sud de Montréal à Brossard.