Le dernier tableau vient d’être accroché. Des fleurs coupées enjolivent le salon de leurs couleurs vives alors que les lueurs du soleil couchant baignent d’or les Laurentides et le clocher de l’église. Sur le balcon du 10e étage de mon immeuble, situé quartier Montcalm, mon œil embrasse également le portail de verre du Musée national des beaux-arts qui se laisse deviner à travers le bouquet d’arbres bordant l’entrée des plaines d’Abraham. Jamais Québec, ma ville chérie, ne m’était apparue sous un tel horizon.
Mission accomplie!
Tandis que j’attends mes premiers invités dans mon nouveau nid, des larmes de joie me montent aux yeux. Une émotion qui réémergera au milieu du repas en lançant à la volée: «Mission accomplie !» De la vente du condo à ce premier repas festif, il aura fallu presque neuf mois traversés de questionnements, d’anxiété et d’insomnie, d’affolantes prises de décisions, de courses éreintantes dans les grandes surfaces. Sans oublier les rencontres aussi pointues que capitales avec la smala de spécialistes: agente immobilière, planificatrice financière, responsable du dossier hypothécaire, notaire…
À 69 ans, ce passage imposé par la nécessité de quitter le Vieux-Québec aux côtes désormais trop abruptes s’est avéré une véritable épopée. Particulièrement l’aménagement alourdi par l’attente, s’étirant de semaine en semaine, du menuisier, du plombier, de l’électricien… Bien que je m’apostrophais intérieurement, ma fragilité du moment prenait le dessus. Jusqu’au jour où, grâce au soutien de mon chéri, la conclusion de ce périple m’est apparue comme un véritable hymne à la beauté et à la sérénité. Terminées les responsabilités de propriétaire. Vive la légèreté! Ici est le lieu où j’aimerais vieillir en douceur, créer et chérir mes proches.
Transplantation…
Toute cette histoire m’a donné l’envie de connaître d’autres histoires de déménagement quand on est au mitan de la vie ou lorsqu’on l’a dépassé. Les propos des personnes qui se sont livrées à moi avec générosité attestent un changement de cap de plus en plus significatif à mesure que la vie avance. Car, comme l’indique Marie-Ange Pongis-Khandjian, psychologue, psychothérapeute et rédactrice en chef du bulletin d’information Une véritable amie, consacré à la santé des femmes et à la problématique de la ménopause, «à partir de la cinquantaine, on entame le début de la dernière partie de sa vie. Déménager, surtout si l’on est demeuré longtemps au même endroit, devient alors une sorte de déracinement. La réussite de la transplantation dépend de la santé de l’arbre…»
Que l’on ait 50 ou 70 ans, c’est notre façon de composer avec les chambardements et de nous adapter à notre nouvel environnement qui fera de cette aventure une réussite ou un cauchemar.
Survivre au changement
Vive le changement!
Au début de la cinquantaine, les énergiques baby-boomers Monique et Jules ont trouvé leur déménagement davantage stimulant que stressant. Se départir de leur propriété unifamiliale située sur la Rive-Sud pour venir s’établir dans la Capitale a bonifié leur quotidien. Pour Monique, infirmière, comme pour Jules, qui travaille dans le milieu de l’éducation, ne plus avoir à traverser les ponts et se servir d’une seule voiture est une bénédiction. «Alors qu’à Charny la pinte de lait était à 15 minutes de marche, elle est ici à portée de main!, dit-il. Et puis, nous étions tannés de passer tous nos temps libres à entretenir maison et terrain. Évidemment, nous avons perdu nos plates-bandes fleuries, par contre nous avons maintenant un accès direct aux Plaines et au jardin Jeanne-d’Arc!»
Avouant toutefois qu’elle aurait aimé avoir une terrasse et s’ennuie de jardiner, Monique se console en se disant que, un jour, ils se construiront un chalet. Le couple aurait apprécié une pièce de rangement à l’étage et davantage de placards. Ce qui l’a amené à courir les boutiques à la recherche d’armoires anciennes. Non, pas de disputes, que du plaisir! «Et des accommodements réciproques!»
Même son de cloche chez André et Mariette, de 20 ans leurs aînés. Bien sûr, avoir dû contracter un emprunt hypothécaire, à un âge plus que respectable, pour acheter un condo avec vue sur le fleuve agace André — «alors que la maison était entièrement payée»! Et avoir eu à effectuer des choix sur plans a causé bien des insomnies à Mariette. Mais ils se sont épaulés dans ce cheminement pas toujours évident. C’est Mariette qui avait envie d’un ailleurs, mais André l’a suivie dans sa décision. L’inquiétude de laisser la maison régulièrement pour visiter leur fille et leurs petits-enfants qui vivent outre-mer a pesé dans la balance. André, qui a abandonné derrière lui ses pommiers et ses rhododendrons, continue à gratouiller la terre de son ancien jardin communautaire. À les voir, on comprend que, malgré certains irritants, André et Mariette ont su accorder leurs violons pour se donner le meilleur environnement à ce moment-ci de leur vie où les projets abondent encore.
Couple en péril…
Auteur de L’infidélité – Mythes, réalités et conseils pour y survivre (Libre Expression), animateur de l’émission À deux, c’est mieux, diffusée à Canal Vie, ce spécialiste de la relation de couple sait de quoi il retourne. Selon son expérience, les gens ne sont pas toujours conscients de l’irritation, du stress, des sautes d’humeur que ce passage peut engendrer. Il suggère de se réserver des moments «hors chantier» pour en discuter et protéger ainsi la relation. «La compréhension est de mise. Au lieu de juger l’autre ou de vouloir s’imposer, on devrait prendre un moment pour bien saisir ses différentes émotions et surtout ses attentes, tout en essayant d’en arriver à la recherche de solutions où chacun accepte les compromis. Puis partager en parts égales les différentes tâches.»
Compromis avec… soi-même
Évidemment, quand les décisions ne dépendent que de soi, c’est avec soi-même que l’on doit établir des compromis! Ainsi, toutes rendues à l’étape de la mi-retraite ou de la retraite, Camille, Élaine, Suzanne, Michèle et moi-même, qui vivons toutes également en solo, avons dû accepter d’avoir une pièce en moins. En réalité, Michèle évite encore l’évidence! Pénible pour elle d’envisager de se séparer de ses milliers de livres… «Le pied carré est cher aujourd’hui!», ironise Camille pour qui la perte d’espace est largement compensée par la vue époustouflante dont elle jouit au 18e étage de son immeuble. «Après deux ans, je suis totalement heureuse de mon choix. Mais que d’angoisse avant d’en arriver là!», s’exclame-t-elle en avouant avoir eu recours aux antidépresseurs et aux somnifères pour mener le projet à bon port. «Moi qui suis une femme forte, je suis devenue à ce point fragile que, sans le soutien de mes proches, je ne sais pas comment j’aurais réussi à retrouver mon équilibre.»
Élaine, elle, ne se console pas d’avoir perdu la chambre d’amis où les enfants venaient souvent dormir, ainsi que la grande salle à manger. Parce qu’il voulait reprendre le lieu, son ex-propriétaire l’a évincée de l’immense appartement où elle avait cru finir ses jours. «À 67 ans, c’est dur! En quittant cet espace, je perdais l’essentiel de ma vie. L’appartement était devenu notre ancrage. Ici, c’est tellement plus petit…», raconte Élaine, qui a traversé un véritable deuil.
Laisser le temps au temps
Laisser le temps au temps
Ce sentiment à l’occasion d’un déménagement, surtout à un certain âge, est souvent évoqué par les psychologues qui en parlent comme d’une réelle souffrance. D’où l’importance pour plusieurs de partager leurs angoisses. «Mais pas toujours, explique Marie-Ange Pongis-Khandjian. Certains préfèrent assumer leur deuil en silence. Alors, pas de pression! Et puis, si l’on a envie de pleurer, on pleure un bon coup. Même si ça brasse, la tempête finira par se calmer.»
Pour Élaine, le pire est passé. Elle profite du faible coût de son loyer pour s’offrir théâtre et restos. Et puis, bien que plus petit que le précédent, son logis a pu accueillir son cher piano, et les enfants ont adapté leurs visites au lieu.
Dans le même type de logement, sur la rue voisine, vit Suzanne. À plus de 70 ans, elle a quitté Montréal pour revenir vivre à Québec près de sa famille. «C’est le bonheur!, jubile-t-elle. Lorsque, à travers tout ce branle-bas, la panique m’envahissait, je me disais: “Suzanne, recouvre ton sang-froid. Tu t’es occupée d’un mari malade. Tu n’as jamais dépendu de quelqu’un pour vivre. Et tu as réussi à relever les défis de ta vie professionnelle. Alors, du calme!”»
«Il y a toujours une part d’angoisse dans le changement. On a peur de s’en mordre les doigts», philosophe Antoine. Fin de la cinquantaine, il reconnaît avoir craint de regretter sa jolie maison du Plateau troquée pour un condo en hauteur. «Cinq ans plus tard, je considère avoir avancé à travers toutes mes remises en question! Au cours de ce périple, comme dans les autres passages de la vie, il faut laisser le temps au temps…»
Sur ce, bon déménagement!
mise à jour le 2008-04-30
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