Transmettre une entreprise à ses enfants

Transmettre une entreprise à ses enfants

Par Ronald McKenzie

Crédit photo: istockphoto.com

On estime qu’il y aurait près de 200000 PME familiales au Québec. Environ le tiers d’entre elles passeront de la première à la deuxième génération, mais seulement 10% passeront de la deuxième à la troisième. Autrement dit, du grand-père fondateur à ses petits-enfants, à peine 6000 entreprises resteront dans la famille. Quels sont les défis associés au transfert d’entreprise? Comment faut-il s’y prendre? Quels sont les écueils à éviter? Guy Lefebvre, conférencier et président de l’Institut québécois pour les familles en affaires, a répondu à nos questions.

Bel Âge. Si l’on se fie aux données, faire passer une entreprise familiale des mains du fondateur à celles de ses enfants semble rempli d’embûches. Comment expliquez-vous ce haut taux de disparition?
Guy Lefebvre. Presque toutes les entreprises créées au Québec sont familiales par la force des choses, je dirais. Par exemple, si vous ouvrez un dépanneur et que vous êtes seul à l’exploiter, ce sera considéré comme une entreprise familiale. Comme on le sait, beaucoup d’entreprises ferment leurs portes au cours des premières années d’activité. Il est donc normal que celles dites «familiales» soient fortement représentées dans ce groupe.

B.Â.
Ce serait donc un problème de perception?
G.L. Ce que je dis, c’est que l’aspect familial n’explique qu’en partie le taux de disparition. Ce n’est pas exclusif. L’incapacité à affronter la concurrence, notamment, est une cause majeure de vente ou de fermeture d’entreprises.

B.Â. Qu’est-ce qui motive un entrepreneur à transmettre sa société à ses enfants?
G.L. Plusieurs facteurs expliquent cette motivation. Au cours de l’une de mes conférences, une personne m’a dit que la satisfaction de transmettre à ses enfants l’entreprise qu’elle a elle-même bâtie était aussi grande que les succès qu’elle lui a permis de connaître. D’autres sont inspirées par la volonté de conserver une affaire lucrative au sein de la famille. Certains entrepreneurs, enfin, sentent qu’ils ont une responsabilité sociale vis-à-vis de leurs employés, de leurs fournisseurs et de leurs clients. En gardant l’entreprise dans le giron familial, ils espèrent que ces liens resteront intacts. Les motifs qui poussent le fondateur à passer le flambeau à ses enfants sont les mêmes que ceux qui l’ont incité à ne pas vendre sa société au cours des années.

Comment s’y prendre?

B.Â. Si plusieurs enfants se montrent intéressés à prendre la relève, cela peut être une source de tension, non?
G.L. Absolument. Voilà pourquoi il importe de mettre les bons éléments en place au moment approprié. En général, il y a cinq écueils à contourner:

  1. Le fondateur ne veut pas céder son entreprise. Il insiste pour demeurer à la barre, coûte que coûte. Là où ça se complique, c’est lorsqu’il dit qu’il est intéressé à vendre, mais qu’en son for intérieur, il s’y oppose.
  2. Souvent, les membres de la famille connaissent mal le rôle qui leur incombe. Ils confondent famille et entreprise, et ils ignorent les exigences.
  3. L’émotivité entre en jeu. Les sentiments exacerbés altèrent les communications entre les gens et engendrent la méfiance. Les rivalités peuvent surgir, et avec elles les accusations de favoritisme .
  4. Les mauvaises personnes sont au mauvais endroit. Le fils, qui a travaillé pendant des années au sein de l’entreprise, peut en connaître tous les rouages. Mais est-il un dirigeant pour autant?
  5. Le financement n’est pas à la hauteur. L’entreprise doit avoir les moyens de «racheter» son fondateur. Il faut faire attention à ne pas la «surendetter».

B.Â. Quels sont les moyens pour réussir une transmission qui assure la pérennité de l’entreprise tout en satisfaisant les membres de la famille?
G.L. Des instances comme le conseil de famille, le conseil d’administration et le comité de direction de l’entreprise ont un rôle d’encadrement important à jouer, parce qu’elles tempèrent l’aspect émotif lié au processus de relève et assurent plus de professionnalisme.

B.Â. Quel est le rôle du conseil de famille?
G.L. C’est un forum démocratique où chacun peut exposer son point de vue et où il est possible de réfléchir et de départager ce qui relève de l’individu, de la famille, du projet commun, de l’entreprise et de l’actionnariat. Le conseil de famille est le cadre qui sert à passer de la diversité à l’unité que doit revêtir le projet commun. Il n’a pas à être exclusif : on peut y intégrer une personne de l’extérieur qui agira à titre de modérateur, par exemple.

B.Â. Qu’en est-il des deux autres instances?
G.L. Plus formel, le conseil d’administration insuffle de la neutralité et de la rigueur dans la démarche. C’est encore plus vrai si des personnes extérieures à la famille, compétentes et indépendantes, y siègent. Ainsi, un conseil d’administration peut suggérer que l’on évalue la compétence des membres de la famille intéressés par des postes de direction. Il peut même déterminer la rémunération du président, et ce, dans le meilleur intérêt de l’entreprise. Pour sa part, le comité de direction instaure l’unité d’action et de gestion dans l’organisation des activités de la société avant, pendant et après la transition. Il voit à ce que les cadres et les employés travaillent en équipe dans une direction commune.

B.Â. Cette façon de procéder semble être pertinente aux grandes organisations. Le processus n’est-il pas plus simple dans le cas des petites entreprises?
G.L. Peut-être, mais les cinq écueils demeurent les mêmes. Quand le projet de céder l’entreprise à ses enfants est clairement défini et que chaque personne concernée est au fait des tenants et des aboutissants de l’affaire, il y a peu ou pas de problème.  Par contre, si des tensions surgissent, ces conseils et comités joueront un rôle de premier plan dans le dénouement d’une éventuelle impasse. Cela s’applique tant aux grandes qu’aux petites entreprises.


Le plan de transmission

B.Â. Admettons que le fondateur ait réellement la volonté de céder son entreprise à ses enfants. Comment s’effectue la transmission?
G.L. Il faut établir un plan de transmission, fondamental à la réussite de l’opération. Ce plan comptera plusieurs étapes.

  • Faire le diagnostic de la situation. Quels sont les besoins du fondateur? Quelle est la capacité de l’entreprise? Quel est le point de vue des enfants ?
  • Convoquer un conseil de famille. On y abordera les questions capitales. Que veut-on faire avec l’entreprise? La faire croître ou la laisser sur son erre d’aller? Quelle personne est la plus apte à assurer la relève? Le conseil de famille a le devoir de confirmer qu’il existe une vision commune de l’avenir en ce qui concerne l’entreprise, et qu’il s’est mis d’accord sur le partage des responsabilités.
  • Dresser le plan de relève. On y déterminera, entre autres choses, qui dirigera l’entreprise. C’est à cette étape que l’on évaluera la compétence des candidats, y compris – et surtout — les membres de la famille intéressés à occuper un poste clé. Au besoin, on peut faire appel à des experts en ressources humaines. Le plan de relève doit également définir comment s’exercera le contrôle de l’entreprise. N’oublions pas que, durant la transition, le fondateur demeure la plupart du temps l’actionnaire majoritaire.
  • Régler les aspects légaux, comptables et financiers.
  • Faire approuver le plan de transition par le conseil de famille, le conseil d’administration et le comité de direction.


B.Â.
Combien de temps faut-il pour franchir toutes ces étapes ?
G.L. Cela dépend de la situation. De quelques mois jusqu’à 10 ans, dans certains cas! Chose certaine, si le fondateur exprime sa volonté de vendre à la dernière minute, ou si les enfants manifestent leur intérêt sur le tard alors que l’on s’apprête à céder l’entreprise à une tierce partie, cela complique singulièrement les choses. Une transmission mal préparée peut avoir des conséquences sur la survie de l’entreprise et ébranler l’unité familiale.

mise à jour le 2007-06-26

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