Et ces bénévoles de chez nous prêts à remuer ciel et terre quand survient une catastrophe aux Philippines ou ailleurs. Quelle importance aussi a notre travail comparativement à celui d’un médecin qui sauve des vies?
Une collègue rédactrice en chef avait l’habitude de dire, quand elle me voyait déçu devant le dernier numéro qui ne me semblait pas particulièrement réussi ou en train de m’arracher les cheveux parce que je venais de découvrir, en relisant le magazine, une grosse faute de français tapie dans un coin: «Arrête de t’en faire, on travaille pour le bac de récupération après tout!»
C’est vrai que tout est relatif et que nous, rédacteurs en chef, journalistes, réviseurs ne nous acharnons pas à sauver des vies du matin au soir. Encore que… (j’y reviendrai). On a pourtant besoin de se dire de temps en temps que ce que l’on fait n’est pas complètement inutile.
Dans les moments de doute, il m’arrive de penser à une émission de télé que j’ai vue il y a quelques années. On y donnait la parole à des parents dont l’enfant était malade. Une femme parlait de son fils atteint du syndrome de Gilles de La Tourette. Elle s’était rendu compte tout à coup, à mesure que son enfant grandissait, que quelque chose n’allait pas dans le comportement de celui-ci. Elle en avait parlé à son médecin, qui l’avait rassurée. Elle s’en faisait pour rien! Puis un jour, elle était tombée sur un article dans Capital Santé, dont j’étais alors le rédacteur en chef. Un article sur le syndrome de Gilles de La Tourette. Plus elle avançait dans sa lecture, plus elle reconnaissait, à travers les symptômes décrits, ce que vivait son fils. Elle était retournée voir son médecin. Elle avait mis l’article sur son bureau: «Lisez! C’est ça qu’a mon fils.»
J’avais compris ce jour-là que notre travail n’était pas inutile. Et voilà que ce matin, je trouve parmi mes courriels ce mot d’une lectrice.
Le bonheur de Julie
«Vous vous souviendrez peut-être de moi. Je vous avais écrit le 3 mars 2012 pour vous parler d’un livre que ma fille venait de publier sur le chocolat.» Si je m’en souviens! Elle me disait que sa fille était atteinte de fibrose kystique et qu’elle venait de publier un livre pour enfants intitulé Chocolats, monstres et compagnie. Nous étions alors à préparer un article sur le chocolat justement. Nous avions décidé, après avoir parcouru son livre, de lui consacrer quelques lignes à l’intérieur de ce texte.
C’était dans notre numéro d’avril 2012. «Si vous aviez vu le bonheur dans les yeux de Julie lorsque je lui ai montré l’article, continue sa mère. Ça n’avait pas de prix ! Pourquoi je vous dis tout ça 18 mois plus tard ? Eh bien Julie a perdu sa bataille contre la fibrose kystique. Elle avait 29 ans. Je voulais simplement vous remercier d’avoir donné quelques instants de bonheur à ma fille.»
Ouf! C’est beaucoup d’émotions en début de journée! C’est tout de même pas banal, vous en conviendrez. On prépare un article sur le chocolat. On se dit: «Voilà un sujet bien léger, futile même! Mais il en faut…» Et patati. Et patata. Plusieurs mois plus tard, on apprend qu’on a semé grâce à cet article apparemment sans conséquence un peu de bonheur dans le coeur d’une jeune femme prénommée Julie qui se battait contre une terrible maladie.
Je ne sais trop comment conclure ce billet. Sinon en vous disant qu’il faut mettre tout son coeur dans ce que l’on fait… car on ne sait jamais! Je me souviens d’avoir lu, au temps de mes 20 ans, une phrase d’Albert Camus (c’est mon préféré) qui disait que cet homme que l’on vient de croiser dans la rue et qui s’en va se suicider ne serait peut-être pas passé à l’acte si, par exemple, on lui avait souri. Souri… ne serait-ce que du bout des lèvres. Ça m’avait marqué. La vérité vraie, c’est qu’on a beaucoup plus de pouvoir qu’on le pense et qu’il n’y a pas que les médecins capables de sauver des vies. Bonne Saint-Valentin!
Jean-Louis Gauthier Rédacteur en chef
jean-louis.gauthier@bayardcanada.com
Vous aimez les billets de Jean-Louis Gauthier? Vous pouvez les consulter ici!
Commentaires: