Je prends une douche, je donne à manger à mon chien Edmond (matinal lui aussi), puis je déjeune au son de la radio, la radio Bazzo… Une belle gang de matinaux dont les rires volent aux quatre coins du studio.
Je tends l’oreille quand on y parle du temps qu’il fait, histoire de savoir si je mets mon long foulard de laine, celui avec lequel je peux faire plusieurs tours, ou l’autre, plus léger. J’attrape aussi les dernières nouvelles du jour.
Pas drôle la planète, ces temps-ci! La folie partout. La violence. L’horreur. L’horreur à perte de vue, du Nigeria à Paris… Boko Haram et compagnie… Des enfants pris en otages dans une école et dont la vie, si courte, se terminera dans un bain de sang. Un journaliste, glaive sous la gorge ou fusil sur la tempe, qui implore ses ravisseurs de le laisser vivre encore un peu. Des passants anonymes dont le corps se brise en mille morceaux sous la déflagration d’une voiture piégée. Des caricaturistes qui se font descendre à bout portant à cause de valeureux petits dessins.
On voudrait crier, hurler: ‹‹Assez! Arrêtez! Arrêtez l’horreur! Nous n’en pouvons plus!›› On voudrait crier, oui, mais qui nous entendrait? C’est tellement loin, la barbarie! Ça n’a pas d’oreilles non plus, la barbarie. Car ça n’a pas de coeur.
Il n’y a que la vie
Quand je pars pour le bureau, à pied, il peut faire encore noir. Je traverse le parc Baldwin. Des ombres bougent. Il m’est arrivé de penser qu’un djihadiste, embusqué derrière un arbre, pouvait me tirer dessus. C’est vous dire à quel point la peur gagne du terrain. Avant, c’était ailleurs, le sang, la barbarie, dans des pays d’Orient ou d’Europe. Mais nous savons maintenant, depuis Saint-Jean-sur-Richelieu et Ottawa, que nous ne sommes à l’abri de rien et que tout peut basculer d’un instant à l’autre…
Le pire, pourtant, serait que nous nous mettions à désespérer. Lors des manifestations qui ont suivi le carnage dans les bureaux de Charlie Hebdo, les gens scandaient haut et fort: «Nous n’avons pas peur!» comme s’ils espéraient être entendus de ceux qui n’ont ni coeur ni oreilles. Mais c’est avant tout pour nous que nous les prononçons, ces mots auxquels il faut ajouter: «Nous ne désespérons pas. Nous gardons espoir.» L’espoir, oui, cette petite flamme qui reste allumée même quand le sens nous échappe et que la nuit tombe sur le monde.
Nous marchons sur un fil de fer. Et pourtant, il faut foncer tête baissée, avec la plus grande ardeur afin de donner à la vie toutes ses chances. Croire que d’autres joies viendront, des joies que nous n’anticipons même pas, des bonheurs que nous n’attendons plus. Mon ami le peintre Fernand Leduc, mort en janvier 2014 à l’âge de 97 ans, me disait: «J’aime la vie même quand je dors.»
Car il savait pertinemment, à son âge avancé, qu’il n’y a que la vie… La vie qui passe. La vie qui s’en va et qui ne revient pas. La vie qui arrive aussi, inattendue. La vie qui vient. La vie qui est là dans nos mains. La vie qui chante dans l’instant présent, plus fort que la désespérance, chez Bazzo, le matin, dans la rue, en traversant le parc Baldwin ou au bureau. La vie du matin au soir et du soir au matin. La vie qui ne dort jamais.
Laissez-moi vous dire en terminant tout le bonheur que j’ai eu à lire vos lettres, très nombreuses, reçues à la suite de mon billet «Je suis comme je suis». Lettres d’encouragement remplies de tendresse et d’affection. Vous m’avez fiché un sourire dans le coeur… Un sourire qui n’est pas près de disparaître.
Bon printemps!
Jean-Louis Gauthier Rédacteur en chef
jean-louis.gauthier@bayardcanada.com
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